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Radiant fête ses 10 ans ! Une interview avec Tony Valente

04/12/2023 - Eri

Cette année, Tony Valente et Ankaman Editions célèbrent les 10 ans de Radiant. Véritable phénomène, le manga français s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde grâce à son univers riche et ses personnages qui résonnent dans le cœur du public.

Présent à Paris pour célébrer cette décennie et ce succès, Tony Valente a accepté de nous rencontrer pour revenir sur son expérience de mangaka, sur son rapport aux lecteurs français et sur sa façon de concevoir son histoire.

Radiant a 10 ans ! Une interview avec Tony Valente

Bonjour Tony, ça fait 10 ans pour Radiant, 2023 marque son dixième anniversaire. Qu’est-ce que ça fait ?

Tony Valente : Bizarre parce que je n’avais pas prévu que ça…J’avais l’espoir que ça dure longtemps, mais je n’y croyais pas. Je n’arrivais pas à me projeter au-delà des 3 premiers tomes. Du coup je pensais que c’était l’affaire de 1 ou 2 ans dessus. Donc 10 ans, c’est surtout que j’ai l’impression d’avoir passé toute ma carrière à faire Radiant, alors qu’en vrai c’est que la moitié. Mais il y a eu tellement de choses qui se sont passées pendant ces 10 ans, toute ma vie a changé. C’est bizarre, le mot qui reste c’est bizarre. [Rire]

C’est super plaisant de savoir qu’il y a toujours de plus en plus de gens qui découvrent, qui connaissent, qui suivent la série.

Puisque vous étiez parti sur 2 ou 3 tomes, avez-vous été obligé de repenser votre histoire ?

Tony Valente : Pas vraiment. J’ai fait semblant que j’allais faire 2 ou 3 tomes, mais en vrai je pensais déjà à une série longue, sur 20, 30, 40 tomes. Le deal de base était d’en faire et de voir pour la suite, j’avais dit oui, mais en vrai dans ma tête ce n’était pas ça. De toute façon s’ils m’avaient dit d’arrêter au bout de 3 tomes, ça aurait voulu dire qu’il n’y avait pas vraiment de lecteurs. Donc si j’avais dû arrêter en catastrophe, le dommage n’aurait pas été très grave. Mais si j’avais dû écrire une histoire en 3 tomes, au moment où j’ai créé Radiant, ça ne marchait pas. Donc j’ai fait semblant, mais en vrai mon histoire partait pour être développée.

Donc c’est une très bonne surprise au final d’atteindre les 10 ans.

Tony Valente : Oui une très bonne surprise.


Avez des souvenirs vraiment qui vous ont particulièrement marqué pendant ces 10 ans ?

Tony Valente : Ce qui m’a surtout surpris, parce que j’étais habitué à faire des dédicaces en faisant de la BD, c’est qu’en arrivant avec un manga j’ai pu rencontrer le public qui l’expérimente vraiment. En BD, c’est très rare. Beaucoup de ceux qui viennent à une dédicace en BD, sont des gens qui passent par là et qui prennent la BD. Et à moins d’avoir un énorme succès, ce qui n’était pas mon cas du tout, les gens passent et ils essaient. Ou alors il y avait les collectionneurs qui passent, qui prennent des dédicaces sans avoir lu.

Moi, j’aime vraiment faire des histoires pour les gens. En faisant du manga, j’ai rencontré des lecteurs qui lisaient vraiment. Ça c’était la grosse surprise pour moi. Ça ne m’arrivait quasi jamais avant.

C’est là que j’ai compris que s’il y a des gens qui lisent, même s’ils ne sont que deux ou trois, c’est suffisant. S’il y en a, je peux faire ce métier même si ça ne marche pas. Avec la BD, j’étais en train de dépérir peu à peu parce que je faisais un truc pour des lecteurs qui n’étaient pas là. C’était difficile.

Donc, la grosse surprise, et ce qui me reste en tête, c’est la réception du lectorat. Ils me racontent de leur expérience lecture, pourquoi ça résonne avec leur vie, comment ils en parlent avec les amis, etc.


Votre lectorat est très fidèle, ils reviennent vous voir et vous avez le courrier des lecteurs.

Tony Valente : Oui, il y a un dialogue qui s’est vraiment installé. Il y en a qui reviennent en dédicace régulièrement depuis le début. Il y a des gens que j’ai vu au tout début, que je vois dix ans après. Je les ai vu enfants et puis je les vois adultes. Ça c’est trop marrant.

Et ça fait super plaisir d’avoir engagé ce dialogue-là. Et même quand leurs attentes ne sont pas complétées, ils aiment aussi la direction que prend l’histoire.

Des fois, quand je lis leur courrier, j’ai l’impression qu’ils connaissent la série mieux que moi. Alors ça, franchement, ça c’est bon. Il y a des lecteurs qui l’expérimentent d’une manière tellement intime et qui la voient sous le prisme de leurs expériences. Ils ont donc beaucoup plus de clés de compréhension que moi.

J’ai fait la scène, j’ai voulu aller dans un sens, je connais mon personnage, je sais où je veux l’amener, et un truc se passe, voilà. Et puis, les lecteurs arrivent et mettent leur histoire personnelle dedans, ils vont comprendre des trucs du personnage, que moi, des fois, je n’ai même pas encore compris mais qui sont logiques.

Et ça, pareil, grosse surprise les premières fois où ça s’est produit.

Par exemple, Mélie a des personnalités multiples. A la base, c’était une infection et une particularité de ce personnage. Ensuite, j’ai rencontré plein de gens bipolaires qui sont venus en dédicace pour me dire qu’ils aimaient comment elle était écrite parce qu’ils se reconnaissaient vraiment en elle.

Je ne l’ai pas fait en pensant tout de suite à la bipolarité. Je l’ai fait parce que moi-même, j’ai plein de facettes et j’ai été hyper hyper hyper timide quand j’étais ado, maladivement. L’une des facettes de Mélie, c’était moi ado hyper timide. Une autre une autre facette, c’est ce que j’aurais aimé des fois pour pouvoir sortir, mais que je ne le faisais pas. Donc, j’avais une espèce de dualité qui existait. Je l’avais expérimenté, c’est ce que je racontais.

Mélie - Radiant 10 ans : Une interview avec Tony Valente
Mélie - Radiant 10 ans : Une interview avec Tony Valente

© 2013, Radiant, Tony Valente / Ankama

Il y a pas mal de lecteurs qui sont venus et qui m’ont dit que c’était cool de traiter la bipolarité comme si ce n’était pas un problème en fait. Ils appréciaient et se sentaient représentés. Ce n’est pas juste une histoire dramatique dans laquelle on parle de bipolarité. Cette bipolarité partie d’elle et elle fait avec.

C’était la surprise pour moi, je n’ai pas fait ça pour ça, mais je suis content.


Et est-ce qu’il y a d’autres personnages, qui se sont transformés au contact des lecteurs ? Certains ont-ils pris un chemin totalement différent de celui qui était prévu pour eux ?

Tony Valente : Il y a plusieurs personnages qui correspondent à ça.

Le personnage de Dragunov était juste là pour créer une embuche de début d’histoire et devait pas aller plus loin. Quand je l’ai écrit, je m’y suis attaché tout de suite. J’ai déversé plein de choses que je voulais voir, et les lecteurs étaient réceptifs. Dès que le tome 1 est sorti, Dragunov était l’un des personnages dont on parlait le plus, alors qu’il n’apparaissait pas beaucoup. Je voyais qu’il y avait vraiment un attrait pour ce personnage. Moi je m’amusais avec, les lecteurs aussi, il fallait capitaliser sur le fait qu’on partageait ensemble un truc qui était sorti nulle part. Donc il a évolué grâce au contact des lecteurs. Il n’est pas allé dans la direction qu’ils souhaitaient mais il a pris de plus en plus de place parce qu’ils étaient en attente. Dès que j’ai vu qu’il était important, je me suis projeté. Si je le fais aller loin dans l’histoire, qu’est-ce que j’aimerais pour lui ? Le Tome 18 : C’est là où je voulais l’amener depuis le début.

Il y a d’autres personnages, notamment le personnage de Vérone, qui est un enfant inquisiteur. Quand je l’ai développé, je l’ai fait parler d’une certaine manière. Sa tête va trop vite et il n’a pas la capacité à capter correctement comment on le reçoit lui. Donc il dit la fin d’une phrase avant de se reprendre et de dire la phrase en entier parce que ça sort plus vite qu’il ne le voudrait, mais il reste stoïque tout le temps et il n’a pas l’air de comprendre le second degré tout ça.

Je l’ai construit comme ça et sans faire exprès, j’ai fait un personnage qui était dans le spectre de l’autisme. J’ai des lecteurs qui sont dans le spectre de l’autisme qui m’ont dit qu’ils s’étaient reconnus dans Vérone et m’ont demandé s’il était autiste, ce que j’ai confirmé.

Il y a aussi Sargon, du manière très différente. Il est bon pour plein de trucs, il est droit dans ses bottes, c’est un bon inquisiteur mais il prend tout au premier degré, il a du mal à déceler les nuances. Il est toujours avec son bras droit, Ininna, qui décode le monde pour lui.

Certains lecteurs se reconnaissaient dedans, ils appréciaient d’être inclus. C’est là que j’ai compris qu’il n’y a pas qu’une manière de raconter l’autisme.

Donc ça, c’est clairement, c’est du dialogue. C’était de l’exploration de ma part au début. Ce sont des aller-retours qui nourrissent les personnages.

Sargon - Radiant 10 ans : Une interview avec Tony Valente
Vérone - Radiant 10 ans : Une interview avec Tony Valente

© 2013, Radiant, Tony Valente / Ankama

Est-ce que les lecteurs peuvent influencer le scénario ? Par exemple, si un personnage qui devait mourir se révèle être adoré, serait-il épargné ou iriez-vous jusqu’au bout même si c’est douloureux ?

Tony Valente : Alors ça me fait toujours mal de tuer un personnage. Parce que même si les gens les aiment, à la base je pense que je les aime plus quand même. [Rires]. Non mais en plus, je dis ça alors que non. Il y a des gens qui vont lire avec tellement de passion, je sais qu’ils les aiment fort.

Ça ne fait pas changer ce que je voulais raconter, par contre des fois ça va me faire réorienter la manière dont je voulais le dire.

Il arrive aussi que je ferme une piste parce que je vois que les gens partent trop dessus. Lorsque j’entends une fois, deux fois, trois fois la même piste, je me dis que s’ils sont aussi nombreux à l’évoquer, d’autres doivent y penser également. Donc je vais fermer la piste pour être sûr qu’on parle tous de la même histoire.

Si les lecteurs imaginent des histoires en parallèle et qu’elles n’ont rien à voir avec ce que je suis en train de raconter, même si c’est ce qu’ils attendent, je préfère fermer la piste afin de leur épargner du temps et l’énergie. Je suis malheureux de le faire, mais je préfère qu’ils se concentrent sur d’autres aspects de l’histoire qu’ils pourraient apprécier.

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