Alors que le premier tome du manga Les héritiers d’Agïone est désormais disponible aux éditions Kana, nous avons pu réaliser une interview avec TPIU, qui est revenue sur la création de son univers.
Plongeant son lecteur dans un univers médiéval, la série nous conduit au Royaume de Tyriadoc où chacun a droit à une seconde vie en cas de mort précoce. Mais parfois la mort est si violente que la renaissance en devient désastreuse. Elle engendre la naissance de Maudits, des monstres créés à l’image de leur trépas… Il existe cependant une exception : les nouveau-nés. Trop faibles et trop purs, ils ne ressuscitent jamais. Jamais, sauf Adalise, la fille du roi, qui est, depuis sa morte-naissance, surnommée la Princesse Cadavre.
Bonjour TPIU, pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous expliquer votre parcours ?
Bonjour, moi c’est TPIU, je suis l’autrice du manga Les Héritiers d’Agïone. Dès mes 16 ans je voulais être mangaka au Japon. J’ai donc opté pour le parcours classique et j’ai emprunté le chemin utilisé par les japonais qui se lance dans cette voie. C’est-à-dire, faire des concours, des one-shots et des dojins… J’ai enchainé tout ça et je suis allée en fac de japonais. Ça a été un échec, j’ai donc décidé de m’installer au Japon afin d’apprendre la langue sur place. Malheureusement, je n’y suis pas restée longtemps car c’était difficile d’y vivre. J’y suis allée trois fois, j’ai rencontré des éditeurs et suite à un concours j’ai été repérée par le Jump+. J’avais un tantô, un responsable éditorial et c’était super car il voulait vraiment travailler avec moi. Je lui envoyais des storyboards de one-shots, qui étaient rejetés à chaque fois, et j’avais tout le temps des supers conseils. J’ai donc appris comme ça, en faisant tous ces one-shots. Mais comme ça mettait trop de temps à se mettre en place, j’ai décidé de mettre ça de côté et de tenter ma chance en France. C’est comme ça que j’ai signé chez Kana il y a trois ans.
Vous avez fait de l’auto-édition en France avant Kana, vous aviez donc déjà des lecteurs. Était ce un argument pour l’éditeur ?
J’avais fait des fanzines et trois mangas en auto-édition : Le Roi des Chapeaux, Tpiutopia et Ada. Pour les lecteurs, ça met en confiance mais je ne pense pas que ça les ait vraiment influencés dans leur choix. Mais je pense que ça leur plaisait, ils aiment bien quand l’auteur a déjà une bonne communauté parce que ça leur enlève une épine du pied.
Comment avez-vous débuté Les Héritiers d’Agïone ? Comment avez-vous créé votre univers ?
Ça a commencé avec Ada, sur un sujet que je ne préfère pas aborder sinon ça va spoiler. Mais il y a eu cette petite graine qui été plantée et mise de côté. J’ai essayé de proposer un one-shot avec cette idée à mon tantô de Jump+, mais ça n’a pas marché. Quand je suis revenue en France et qu’il a fallu que je travaille sur mon dossier pour Kana, j’avais toujours cette petite graine. Il fallait que je trouve un sujet qui pouvait intéresser, qui pouvait être original. Je me suis donc lancée avec une phrase : “Les gens peuvent mourir deux fois”. Je suis partie sur cette idée. Je voulais de la fantasy médiévale, parce que j’adore ça. Je savais que je voulais une princesse. J’ai construit mon univers à partir de ça.
Quelles sont vos plus grandes sources d’inspiration ?
Miyazaki m’inspire énormément. Même si ça ne se voit pas toujours, c’est ma plus grande influence. Ensuite, il y a Full Metal Alchemist. Je trouve cette œuvre très mature et j’adore la façon dont l’autrice aborde des sujets tragiques et dramatiques avec un humour incroyable à côté. J’aime cette façon de jongler entre ces deux thèmes. Plus récemment il y a L’Atelier des sorciers, qui a un visuel absolument exceptionnel. J’aspire à atteindre ce niveau-là. Bien sûr, il y en a tellement d’autres, comme par exemple Game of Thrones.
Quand vous avez créé votre héroïne, Adalise, est-elle venue tout de suite ? Avez-vous commencé par son dessin ou sa personnalité ?
Je ne m’en souviens pas très bien… Je pense qu’elle est venue tout de suite. Je voulais une fille avec un fort caractère. Je ne me suis pas posée de question et j’ai fait un personnage spontanément. Je me projette beaucoup à travers elle. J’ai surtout réfléchi à son caractère au moment où j’ai réalisé son chara-design, qui a changé depuis la première version. J’avais envie qu’elle sache se battre, sans qu’elle soit surpuissante. Ça reste une jeune femme normale, très forte au tir à l’arc, qui est courageuse mais qui a plein de défauts. C’est un peu une moi, mais en mieux, ou comme je voudrais être.
Malgré son statut de princesse, elle est rejetée et méprisée par son propre peuple. Vouliez-vous faire passer un message à travers elle ?
Oui, clairement. Je me suis toujours sentie rejetée. Même encore aujourd’hui, même si c’est de façon plus discrète. Ça me permet de me défouler un peu à travers elle. Ça me permet de m’exprimer à travers elle. Les personnages victimes, comme Naruto, fonctionnent hyper bien pour s’attacher au personnage. C’est vraiment très efficace je trouve.
Avez-vous déjà eu quelques retours de vos lecteurs durant Japan Expo ? Se sont-ils sentis proches d’elle ?
La plupart des gens qui sont venus me voir en dédicace n’ont pas encore lu le tome. Mais ceux qui l’avaient lu ont aimé Adalise. Les lecteurs trouvent qu’elle est super attachante, et pour moi c’est une réussite.
Est-ce que les autres personnages étaient tout aussi simples au moment de leur création ? Notamment son ami, Gidéon, et les membres de la famille royale.
Pour Gidéon, c’est venu instantanément. Il lui fallait un pote. Et… Je ne peux pas trop parler de lui. [Rires].
Pour Adel, son frère, j’avais très envie de traiter les relations familiales. Bien sûr, je me projette beaucoup, mais je trouve ça génial d’en parler dans une histoire. Ça rend les personnages plus humains et plus proches de nous. Je prends l’exemple de Game of Thrones, j’adore tous ces conflits, ces amours de famille. Je trouve ça génial de travailler sur la psychologie des personnages par le biais de leurs relations. J’avais envie de développer cet aspect et montrer leur évolution. Adel va avoir son importance par la suite.
Y-a-t-il un personnage qui est plus complexe que les autres à dessiner ?
J’ai beaucoup de mal avec Adel justement. Alors il a l’air simple comme ça, mais bon, déjà j’ai du mal avec les personnages masculins. Surtout les jeunes adultes, parce que j’ai envie qu’ils soient un petit peu viril. Et puis, il a vraiment une expression… qui le rend compliqué à faire. Même ses cheveux sont une vraie galère. L’assassin est particulièrement chiant aussi, avec son masque. Clairement à chaque fois que je dois le faire… [Rires]
En plus des humains, nous rencontrons aussi de nombreux maudits. Avez-vous déjà une sorte de bestiaire que vous aimeriez insérer ?
C’est un peu au feeling. Franchement, je m’adapte à la personne qui va mourir. Sa mort va influencer le design. J’ai quelques petites idées en tête. Je peux faire tout ce que je veux avec eux. Ce sont des trucs gluants qui peuvent prendre n’importe quelle forme. J’ai quelques idées par ci par là. Visuellement, j’ai envie de m’amuser. Je n’y ai pas trop réfléchi, c’est vraiment sur le moment.
Comment vous projetez-vous avec Les Héritiers d’Agïone ? Avez-vous déjà la fin en tête ?
J’ai les grandes lignes en tête. Plus le temps passe, plus j’ai une idée de la fin. Ce que j’imagine actuellement va probablement changer mais je pense que je vais garder l’idée de base que j’ai.
Au début je voulais 30 tomes puis je me suis dit qu’il fallait être raisonnable. Je ne pense pas vouloir passer 30 ans de ma vie dessus. Et puis, les séries aussi longues font un peu peur aux gens en général. Pour les shōnen nekketsu, cette longueur est plutôt logique, mais la fantasy médiévale ne s’y prête pas forcément. Donc 10 ou 15 tomes, ça sera déjà pas mal.
Au fil de ce premier tome, on voit que vous voulez aller très loin. Vous avez glissé une carte et laissez voir un univers prometteur qui peut se développer.
J’ai envie d’aller très loin dans cet univers. J’adore notamment la géopolitique. J’ai vraiment envie d’aller plus loin que la carte du tome 1. Il y a encore beaucoup de choses en dehors de cette carte. Adalise est une princesse, elle est fille de roi, c’est quelqu’un d’important. Et il y a une guerre autour d’eux. Ça va impliquer énormément de choses qu’on découvrira par la suite.
Remerciements à TPIU pour sa disponibilité et l’équipe de Kana pour cette interview